Nos premiers mots seront à l’adresse des centaines de personnes qui nous ont l’an passé prêté mains-tendres pour résister au coup de force des broyeurs d’espérances. Notre manifesta(c)tion poétronique, après avoir un temps battu de l’aile, a pu reprendre son envol. Ailleurs. Dépourvus d’un territoire résidentiel, nous avons opté pour l’expérience du nomadisme et faire chanter les noms des cités qui nous accueillent, Montevideo, Buenos-Aires, Paris, Aix-en-Provence, Marseille, Nice, Metz, Martigues, Hérouville-St-Clair… Constellation mouvante de nos dérives poétroniques !

Cette nouvelle configuration de notre festival a impliqué, avec chacun de nos hôtes-partenaires, des échanges qui nous ont changés. Une coopérative des désirs ! Nous n’avons pas démarché. Nous avons réappris à marcher. Le nomade fait le désert. Le désert fait le nomade. Pour dire quelque chose du nomadisme, il faut une langue nomade, en mouvement. Celle des poètes. Celle qui contient une multitude de possibles sans jamais en fixer aucun. Une intelligence dansante ! C’est cette langue que nous avons eue de cesse de convoquer durant tout le cheminement des Instants Vidéo depuis 1988. Et nous récidiverons longtemps.

Suite à notre envol de Manosque, nous avons fondé une association : les Instants Vidéo Numériques et Poétiques. À charge pour cette assemblée souriante d’inventer de nouveaux devenirs. Vers quels horizons ? Dans un texte publié en 1929, Jorge Luis Borges distingue deux mots pour désigner le cinéma : cinématographe (écriture du mouvement) ; et un terme typiquement argentin utilisé jusqu’au milieu des années 50, biografo (écriture de la vie). La poésie électronique comprise comme une écriture de la vie, voilà une destination envoûtante ! Au printemps 2004, nous avons fait escale au Théâtre de Lenche de Marseille pour nous mouiller dans les affaires vidéo-théâtro-poétiques de l’Intranquille d’après Fernando Pessoa. Puis nous avons traversé l’Atlantique avec dans nos cales une cargaison de poèmes électroniques que nous avons projetés sur les écrans des Musées d’art moderne de Buenos-Aires et de Montévidéo. Et soudain, nous avons pénétré l’IMPA (une usine « récupérée » qui recycle de l’aluminium) où ouvriers et artistes ont fondé une coopérative. Ce même parti pris de la vie, nous l’avons vu briller, sous d’autres formes, dans les yeux des artistes rencontrés sur place. Nous avons ramené quelques météorites poétroniques que nous vous offrons.

Les voyages poétiques se font toujours sur des bateaux ivres. Qu’inventer à présent ici, sur nos rives-rêves médiaterranéens, qui soit au diapason de nos utopies caressées ? Comment partager l’ivresse joyeuse d’une rébellion créatrice ? Comment se frayer une voie qui dessine notre renoncement au confort de la culture institutionnelle et aux délices d’une marge isolante et désolante ? Comment être les passeurs de paroles-musiques-images clandestines qui invitent à vivre l’expérience d’être transis par une « vérité » ? Comment élever nos désirs à la hauteur de nos rêves poélitiques, plutôt que de gouverner au plus juste les modes mineurs d’une expression consensuelle et marchande ? Ces questions, nous vous les soumettons afin qu’elles deviennent un bien commun, la semence d’une in-discipline artistique et politique.

Les arts électroniques, et encore plus, numériques, réactualisent la question de la qualité éphémère de l’objet artistique. Ne sommes-nous pas en face d’un alignement de l’art sur la circulation des denrées consommables, interchangeables, périssables selon les lois dévitalisantes du marché ? La poésie électronique et numérique doit porter en elle cet avertissement pour être en mesure de libérer une vérité du sensible : du chaos naîtra une étoile filante. Dans le même temps, le Net Art prolonge le Satelite Art inventé par Nam June Paik où des images du monde entier pouvaient simultanément et instantanément se mélanger. Un rêve vieux comme le monde. Un désir de télévision (voir de loin et en direct les vibrations du présent) : Moon is the first tv, disait Paik (l’inventeur de l’art vidéo).

Notre nomadisme ciné-stellaire se révèlera peut-être comme une machination pour brouiller les pistes de l’évidence au profit d’un devoir être fragile. Un voyage au bout de la nuit pour devenir étoiles.

Alors, brillons de mille feux ! Nous écrirons des livres-lèvres poétroniques avec la pointe colorée de nos sourires, car la tristesse n’accable que celui qui renonce…

Marc Mercier

festival2004
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