El hombre es tierra que anda.
Les Incas disaient : L’Homme est terre qui marche. Nous habitons ensemble une terre errante. Nous sommes originaires des endroits où nous allons. Nous sommes à la fois sédentaires (terre où prolifèrent nos racines) et nomades (pour rencontrer l’étrange et l’étranger). Durant ses années d’exil, Mahmoud Darwish disait J’habite dans une valise. Toujours la même histoire. Des errances fondatrices d’infinis territoires qui transpercent les murs du temps et de l’espace.
Si Marseille est la terre d’enracinement de notre manifestation, c’est pour y créer des zones d’envol. Partout où nous atterrissons, c’est pour y découvrir un nouveau centre du monde. Il faut vraiment être paranoïaque pour imaginer nécessaires les frontières qui vieillissent prématurément le monde. Regardez une carte géopolitique, les frontières sont des rides sur le beau visage de la planète, les cicatrices du contrôle, de la rétention, de la domination. Notre carte, ce sont les étoiles qui forment une constellation d’amitiés fécondes. Cette année, les Instants Vidéo nomadisent leurs passions à Marseille, Martigues, Port-de-Bouc, Nice, Paris, St Denis, Strasbourg, Beyrouth, Damas, Ramallah, Gaza, Montréal, Buenos Aires et Caracas (29 structures accueillantes). Les œuvres vidéo météorites que nous présentons proviennent de 55 pays.[1]
Cette 21e édition des Instants Vidéo dit que la poésie électronique est un trait d’union entre ce qui diffère. Elle dit que l’art vidéo c’est ici comme ailleurs et que l’art est toujours un ailleurs même ici. Un festival pataphysique qui fait le plein de solutions imaginaires à des questions que personne ne se pose. Ce sont les solutions qui posent problème. Une vérité se trouve par inadvertance, pas en récitant ce qu’on nous a appris. On ne trouve que des pistes de recherche. Les plus malins diront que nous sommes hasardchaïques. On cherche à être, pas à paraître ou à paître comme des moutons qui rêvent de devenir bouchers. Ah, l’insoutenable légèreté du paître !
Dionysos sera notre invité d’honneur. Le vin coulera à flot. Des taureaux danseront. Des chants nous laisseront sans voix. Les sans voix n’auront pas besoin de papiers d’identité pour prendre la parole. Les mots circuleront car la voix est libre. Les images auront des coups de gueule et des coups de cœur. Nous trinquerons en prenant garde de ne pas fêler le cristal qui est en nous. Nous ne sommes pas des briseurs de rêves. Les rêves, comme les grèves, sur le tas nous élèvent. Rêves de soulèvement. Dionysos est plus que jamais nécessaire, il viendra mettre de la passion, de l’excès, du débordement, là où la raison gestionnaire a fossilisé nos existences. Il ne faut pas avoir un écran dans la tête, mais du cran. Pas un cran d’arrêt, mais celui qui nous fait avancer là où on ne sait pas.
Les poètes électroniques ne « couvrent » pas d’événements. Ils découvrent et n’en croient pas leurs yeux. C’est l’enfance du regard. La conscience vient après. C’est le montage de la pensée et ça s’appelle un film. Eisenstein disait : Dionysos = Naissance du montage. Il n’y a pas de montage sans mise à mort (découpage) et mise en mouvement (la danse des images). Une journée (9 novembre) sera dédiée à cette idée en présence d’artistes (Marcel Hanoun, Alain Bourges, Marie Herbreteau, Béatrice Kordon, Mariana Vassileva, Guido’Lu …), de vignerons de Banyuls, et de l’écrivain tauromachique, chroniqueur à Libération, Jacques Durand… Ouïssez sans entrave, ni les jeux ni les yeux ne sont faits. Rien ne va plus ! Il faut changer les règles de l’art. Ne rentrez pas dans les ordres. Si l’ordre est le plaisir de la raison, le désordre est celui de l’imagination. Alors vous jubilerez devant les installations de Jean-Paul Labro, les performances des argentines Daniela Muttis et Carolina Mantovano, de la franco-russe-argentine Natacha Muslera, de l’exquise humixte occupée à vivre A.Strid…
Des projections à tout va (comme autant d’intifadas de poèmes électroniques contre les vitrines des marchands), des performances, du vin, de la musique et des chants. Louise Bronx et Jean-Louis Accetone nous expliqueront comment faire un papillon (vidéo-concert). Et comment ne pas faire l’éloge de Laliberté (Sylvie) qui le soir du vernissage (7 novembre) à la Friche Belle de Mai nous enchantera de sa joie caressante, ludique et fine.
Nous voulons un festival qui ne consente pas à la célébration unanimiste. Un laboratoire public du scandale, des paroles et des images insolentes, insensées, dissensuelles (et dix fois sensuelles) et surtout poétiques. Une arène où se joue le combat entre le langage séquestré par le pouvoir et la poésie. Une piste de danse où tout s’envoie valser, s’envoie en l’air. « La clarté, de quelque manière qu’on l’entende, nuit à l’enthousiasme. Poètes soyez ténébreux! La poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage », disait Diderot. Et même si nos désirs non indexés sont mis au bagne par les juges de l’art du marché mâché et rabâché, ils n’ont pas de pagne cache sexe. Nos images sont bandées comme un arc sensible prêt à décocher la flèche du plaisir. Les biens communs sont faits pour être partagés. Les actes textuels, sexuels, pensuels, vidéouels, poétuels, musicuels, nous sont trop chers pour ne pas être infiniment gratuits.
Et pour ne jamais finir : du 18 au 28 février 2009, nous organiserons à Ramallah, avec la Qatan Foundation, le 1er festival d’art vidéo et multimédia de Palestine. En route, amis, mettez les voiles, chaussez vos ailes et vos échasses, sautons par-dessus les murs, Ramallah, mon amour (titre d’un roman somptueux de Mahmoud Abou Hashhash ) nous attend…
L’équipage (flibustier) des 21es Instants Vidéo
[1] Algérie, Allemagne, Angleterre, Argentine, Arménie, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Bulgarie, Canada, Chili, Chine, Chypre, Colombie, Corée, Danemark, Ecosse, Egypte, Espagne, Finlande, France, Grèce, Guatémala, Hongrie, Inde, Indonésie, Israël, Italie, Iran, Irlande, Islande, Japon, Jordanie, Liban, Luxembourg, Macédoine, Maroc, Palestine, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Serbie, Suède, Suisse, Syrie, Taiwan, Tunisie, Turquie, Uruguay, USA, Venezuela.
pour celui qui nous a toujours parlé d’amour
le poète palestinien Mahmoud Darwish
pour le passeur d’images André Iten,
pour les amants des sons Daniel Caux et Daniel Charles
tous décédés cet été, et pour tous les vivants qui héritent de leurs passions