Contre les armes de distractions massives
Osons les caresses d’innovations intimes

Au cœur de ces 20es Instants Vidéo : la Palestine. « Cœur » est le mot que l’on utilise pour signifier l’amour. C’est aussi l’organe que l’on vise pour tuer l’ennemi. Et le mot « Palestine », quand est-il utilisé ? Le plus souvent comme une métaphore qui recouvre une réalité que nous refusons d’admettre : un territoire est occupé depuis 1948 par une puissante armée, des femmes et des hommes sont humiliés, expulsés, parqués, emprisonnés, assassinés quotidiennement. Nul ne l’ignore. Depuis 60 ans, ils résistent. Avec obstination. Avec des armes. Avec des pierres. Avec des poèmes. Avec des films. Pour cela, ils n’ont surtout pas besoin de notre pitié. De notre écoute, de notre regard, de notre solidarité, oui. Notre festival s’est donc ouvert symboliquement le 6 octobre à 20h pour la Nuit Blanche de Gaza avec la complicité du Centre Culturel Français.

Les Instants Vidéo existent depuis vingt ans. Ils sont nés avec l’espoir rageur d’une révolution esthétique et sociale à faire pour le bien être de tous. Aujourd’hui, ils se rapprocheraient plutôt de cette gaieté qui n’espère plus dont parle Jean Genet au sujet des Palestiniens, « la plus joyeuse car la plus désespérée ». Œuvrer, malgré tout, contre le désenchantement.
Avons-nous pour autant perdu en route notre désir de subversion ? Non, car nous avons entendu le sens (et le son) profond de la sub-version, la version d’en dessous, souterraine, étouffée, mineure. Appelons cela, la poésie. Appelons la révolution poétique, l’ultime chance donnée à l’humanité pour ne pas sombrer sous le joug des forces militaires, mercantiles et religieuses. Les Instants Vidéo n’existent que d’être une couleur parmi dix milles d’une immense toile planétaire tissée par des mains innombrables. Une communauté de fils (et d’aiguilles) fragiles, sans chef de file : artistes, publics, associations, philosophes, amis, militants, rencontrés ici et là, à demeure ou en voyage.

Les 20es Instants Vidéo chemineront cette année à (par ordre d’entrée en scène) : Gaza, Beyrouth, Avignon, Valence, Saint Denis, Marseille, Nice, Port-de-Bouc, Caracas, Paris, Martigues, Aix-en-Provence, Munich, Liège. Et lors du premier trimestre 2008, ils prolongeront leur épopée en Palestine (Ramallah, Gaza, Jérusalem). Ils accueilleront des œuvres et des artistes (vidéo, installation, spectacle multimédia, concert, poésie) en provenance de 54 pays. *

Nous avons perdu ce 8 janvier 2007, notre ami poète électronique Gianni Toti. Hommage lui sera rendu. Quelque temps après, ce fut au tour de Thierry Kuntzel de rejoindre le cosmos. Et nous voici doublement orphelins. C’est un métier. Un dur métier, comme l’exil. L’exil volontaire des idées reçues, des fausses illusions individualistes, des vieux langages.

Vingt ans, c’est le moment ou jamais d’inventer un verbe : amourtier ! L’amour et l’amitié réunis dans un seul verbe d’action. Aux larmes planétoyens ! Larmes du gai savoir d’être encore des êtres désirants et désirables. Ainsi nous serons dans de beaux draps. Là où les corps s’ébattent. Bref, nous amourtions à tout va. Et c’est la seule véritable raison pour laquelle nous avons décidé d’organiser du 13 au 17 novembre à Marseille le 1er Congrès des specta(c)teurs, artistes vidéo et poètes non-alignés (sur les critères du marché) où nous agirons par petites touches excessives. Côté excès d’amourtié, nous n’irons pas par quatre chemins en accueillant l’immense artiste madrilène Fatima Miranda dont les voix multiples génèrent des images : Diapassion II. Des artistes vidéo et multimédias d’Europe, d’Afrique, du Moyen-orient, d’Amérique du sud et du nord, des poètes, des musiciens, des philosophes diront à quelles nécessités intérieures, poétiques ou politiques répondent leurs œuvres. Ils le diront avec leurs images, leur voix, leur corps, leurs paroles.

Vingt ans, l’âge pour pratiquer l’insolence, le pied de nez à ceux qui prétendent en savoir plus que nous sur la conduite à suivre pour sauver la civilisation de son malaise. L’âge pour confronter effrontément les discours aux faits, les croyances aux situations, les idées aux circonstances. Il n’existe pas d’images achevées du monde ! Nous devons exacerber le malaise dans l’imitation, détruire les apparences trompeuses et nous incorporer dans ce qui nous semble encore invraisemblable.

Pour ces 20es Instants Vidéo, nous rêvons que chaque spectateur s’impose comme co-auteur des œuvres programmées. Non pas par adhésion, mais par extension productive de ce qu’il voit et entend. Car l’enjeu actuel n’est pas tant d’inventer une nouvelle culture, une contre-culture, mais bien d’inventer un nouvel usage de la culture et des arts par ceux qui sont intéressés à la transformation sociale. C’est pourquoi nous penchons gracieusement vers un choix d’œuvres ouvertes, inachevées par essence, car leur aboutissement est ce que nous en ferons dans notre vie quotidienne. Et ceux, qui comme nous, ne peuvent plus se contenter de voir et d’écouter prendront les œuvres et leur vie désormais en main, en œil, en oreille, en peau, en souffle, en neurone, en sueur, en voix, sans entrave.

C’est une mutation radicale de notre rapport aux images que nous revendiquons : ne pas réduire une image à sa fonction de métaphore (mouvement qui met en relation des corps ou des objets avec les idées qu’ils sont censés signifier), mais s’engager dans une compréhension des images sous l’angle de la métamorphose, soit un mouvement qui met en relation des corps avec d’autres corps. Quand la création vidéo cède sur ce terrain, elle perd son statut de poème électronique, sa faculté à transformer notre rapport au monde. Nous rêvons d’un corps à corps avec le monde des images, avec toute la puissance érotique et combative que contient cette expression. Nous serons alors tendres et féroces.

Marc Mercier

* Afrique du sud, Allemagne, Algérie, Angleterre, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Chine, Chypre, Colombie, Congo Brazzaville, Corée, Croatie, Equateur, Espagne, Estonie, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Indonésie, Iran, Irlande, Israël, Italie, Japon, Jordanie, Liban, Macédoine, Maroc, Mexique, Norvège, Palestine, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Porto Rico, Portugal, Roumanie, Russie, Sénégal, Serbie et Monténégro, Singapour, Suède, Suisse, Syrie, Taïwan, Turquie, Uruguay, Venezuela…

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