L’art vidéo n’est pas une discipline artistique de plus. Ses origines (Fluxus, c’est le flux de la vie qui traverse tout, c’est une énergie) font de lui une in-discipline fondamentale.

Dès son invention en 1963 par des artistes du mouvement Fluxus (dont Nam June Paik et Wolf Vostell), l’art vidéo s’est caractérisé d’une part par un intérêt pour toutes les nouvelles technologies, et d’autre part par un souci de croisement des disciplines artistiques (musique, sculpture, art plastique, danse, poésie…).

« Fluxus mettait le doigt sur les choses simples de la vie, érigeait la simplicité comme valeur en mettant l’accent sur le rire, les larmes, le vol d’une mouche dans une chambre noire. » Wolf Vostell (Libération, août 1995)
Pour Fluxus, il n’y a plus de centre de l’art (école, musée, galerie…), l’art est là où tu fais ton boulot, là où tu affirmes ton existence, ton être au monde, là où tu habites au lieu d’être seulement habité… L’art est donc un territoire possible pour habiter activement le monde et soi-même. Il est un espace où des rencontres peuvent s’effectuer. Ce n’est pas un espace pré-établi, mais une terre toujours vierge à sans cesse inventer. « Je ne pense jamais si ce que je fais est de l‘art ou non. C‘est une activité. C‘est tout » (George Brecht)

Aux Instants Vidéo, nous revendiquons cette filiation Fluxus des origines de l’art vidéo. Paik et Vostell, bien sûr. Mais aussi, celle du pataphysicien téléaste Jean-Christophe Averty, du poète électronique Gianni Toti, de la musicienne des ondes Steina Vasulka, des anarchies poétiques d’Armand Gatti, de la messagère des mémoires enfouies Irit Batsry…

Si dans un premier temps de son histoire, la poésie électronique s’est essentiellement développée dans des espaces réservés à l’art contemporain (musées, galeries), dans des pays économiquement « développés » (Europe du Nord, Etats-Unis, Canada, Japon…), aujourd’hui la situation a considérablement évolué. Partout dans le monde, en Amérique du Sud, au Moyen-Orient, au Maghreb, en Asie, en Europe de l’Est, de jeunes artistes se sont saisis de la vidéo pour dire quelque chose du monde et d’eux/elles-mêmes. Tou.te.s ont senti combien il était nécessaire et urgent d’inventer un nouveau langage en phase avec notre époque, en phase avec les grands bouleversements sociaux et technologiques que nous vivons en ce moment. Tou.te.s ont compris que notre rapport au temps et à l’espace n’est plus le même qu’avant.
La poésie électronique n’est désormais plus un domaine réservé aux spécialistes de l’art contemporain. Elle a investi de nouveaux territoires. Des ateliers de créations, de nouveaux espaces de diffusion sont créés, dans une prison à Marseille, dans une usine « récupérée » à Buenos Aires, dans une université à Casablanca, dans un Oasis à Figuig (Maroc), dans un camp de réfugiés palestiniens à Bethléem, dans une structure syrienne aujourd’hui nomade …
Parmi toutes les constellations qui rassemblent les nouveaux.lles poètes.ses électroniques, il en est une à laquelle nous sommes particulièrement attachée : celle qui se développe autour de la Méditerranée. Depuis plus dix ans, l’art vidéo régénère son dynamisme dans des territoires tels que le Maroc la Tunisie, le Liban, l’Egypte, la Syrie, La Palestine… ? De nouveaux chants poétiques et numériques sont ici en train de s’élever et de se faire entendre. Des peintures d’un genre nouveau sont en train de colorer l’horizon. La Méditerranée est en train d’éclabousser notre regard.

Les œuvres que nous découvrons ensemble sont à penser comme des échappées belles, des turbulences politiques, géologiques, sensorielles et philosophiques que nous vivons quotidiennement. Ce sont des traces de ce qui est en nous.

Terminons cette très courte introduction à l’art vidéo en citant la « Déclaration humixte » rédigée par l’artiste A.Strid, qui résume merveilleusement bien les nouveaux enjeux de l’art d’aujourd’hui :

Et nous, en accord avec notre art d’habiter cette planète, non séparés du vivant, nous disons que nous nous sommes construit par symbiose, association, coopération. Nous ne rêvons pas de commander, la soumission nous est inutile. Nous nous occupons à vivre. Nous faisons se mouvoir la peau des modèles qui serrent de trop près leurs noyaux. Il y a de la fertilité à longer nos frontières car notre intelligence est collective. Humixtes, nous hébergeons en nous l’unité.

 

Charlotte Moorman Performing Nam June Paik’s « Concerto for TV Cello and Videotapes »