Passage, mon beau souci

Une édition spéciale dédiée aux ami-e-s délicat-e-s qui ont ensemencé le jardin des Instants Vidéo. Une édition spéciale qui murmure : « Passage, mon beau souci ». J’ai conçu cette 34e édition du festival en marchant sur les traces de l’exil du philosophe poète Walter Benjamin. Une traversée des Pyrennées qu’il entreprit en 1940 pour fuir l’horreur des camps. Le passage vers l’Espagne aurait dû lui ouvrir les voies de la liberté. Tout passage comporte des risques. L’espace de la frontière est un seuil. Ce festival a été pensé comme un seuil : Que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe. Tel est le défi qui se pose non seulement à notre festival, mais aussi à l’ensemble des sociétés de notre monde contemporain bien mal en point.

Le caractère spécial de cette édition est donc double. Ce festival sera le dernier que j’assumerai en tant que directeur artistique après plus de trois décennies à l’avoir manœuvré avec nombre d’équipages merveilleux tel le bateau ivre de Rimbaud. Occasion de repenser ses cargaisons et itinéraires pour les années à venir. Néanmoins, cette aventure personnelle ne doit pas masquer les enjeux poétiques et politiques que nous devons dès aujourd’hui affronter pour que nos sociétés changent d’état, se révolutionnent culturellement pour en finir avec les idéologies nauséabondes qui gangrènent nos corps, nos consciences, nos relations, nos œuvres d’art et parfois même nos festivals : Il n’y a pas de témoignage de culture qui ne soit pas en même temps un témoignage de barbarie. Cette barbarie inhérente aux biens culturels affecte également le processus par lequel ils sont transmis de main en main. (Walter Benjamin)

J’ai souhaité cette année faire tenir ensemble, plus que jamais, les trois horizons qui m’ont toujours servi de repères pour naviguer parmi les œuvres, les pensées et les remous de l’actualité sociale et politique qui chaque année ont constitué la matière première du festival : l’amour fou (désirer, brûler, expérimenter), la poésie (faire, s’exposer, risquer), la révolution (imaginer, transformer, s’émanciper, ne plus avoir peur). Si les termes de cette triade n’ont jamais changé, si la poésie fut toujours placée au cœur du projet, le changement radical opéré au fil du temps fut d’avoir inversé les places du premier et du dernier terme. L’amour fou (le désir) est devenu la proue du navire Instants Vidéo. C’est ainsi que le « changer la vie » de Rimbaud est devenu la condition du « changer le monde » de Marx. Dans les deux cas, il s’agit d’habiter poétiquement nos désirs et le monde.

À notre appel pour nous accompagner au seuil d’un passage, de nombreux artistes ont répondu présent passionnément, Fatima Miranda, Michele Sambin, le duo Catherine Vincent, Jean-Paul Fargier, Alain Bourges, Charbel Samuel Aoun, Giney Ayme, Florence Pazzottu, Julien Blaine…, des anciens et des jeunes, des d’ici et d’ailleurs… Installations vidéo, poèmes, concert, projections… Le festival fleurira bien sûr à la Friche de la Belle de Mai et dans des galeries populaires éphémères, Marseille, notre terre d’accueil et piste d’envol, mais aussi à Aix-en-Provence, à Québec, Milan, Casablanca, Buenos-Aires et sur la web tv Visual Container. L’internationale est notre genre humain et poétique.

Je souhaite que ces Instants Vidéo soient le seuil d’un avenir désiré et désirable. Je passe la main comme une caresse. C’est un avis de passage.

Marc Mercier

Post-scritum de Walter Benjamin :
Seul celui qui saurait regarder son propre passé comme le résultat de la contrainte et de la nécessité serait capable d’en faire à chaque moment présent la valeur la plus haute pour lui-même. Car ce qu’un homme a vécu est comparable dans le meilleur des cas, à la belle statue dont tous les membres furent cassés pendant les transports et qui maintenant ne présente plus qu’un bloc précieux, à partir duquel il lui revient de tailler l’image de son avenir.

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