Pour une libre circulation des corps et des désirs

L’art vidéo est un art contemporain…
des luttes menées par tous ceux
qui n’ont pas renoncé à porter des ailes.

1) De plus en plus de murs sont dressés entre ceux qui ont (presque) tout et ceux qui n’ont (presque) rien.
2) La misogynie et l’homophobie (même masquées derrière de bonnes intentions) sont des murs dressés entre les corps et les désirs.

Comment les artistes vidéo expriment-ils ce droit qui devrait être universel : la possibilité pour chacun de circuler et de s’installer où bon lui semble, de vivre librement sa sexualité, d’aimer sans entrave… ?

Nous avons bâti cette édition du festival à partir d’une intime conviction : une même logique conduit les Etats, avec malheureusement l’assentiment d’un trop grand nombre d’individus, à vouloir contrôler les flux migratoires et les flux du désir. Les victimes de cette guerre contre l’étrange et l’étranger se comptent aujourd’hui en millions que ce soit à Gaza, en Syrie, au Mexique, à Lampedusa ou dans notre rue.

C’est que nous vivons planétairement sous un régime (économique et politique) de domination de type patriarcal basé sur la loi du plus « fort » : le plus musclé, le plus riche, le plus armé, le plus diplômé, le mieux membré… Que ce soit au nom d’un dieu, du sauvetage d’une économie, de la préservation d’une identité ou de la garantie de notre sécurité, les prédateurs d’un genre humain cosmopolite, métis et solidaire se sont ligués pour fermer les frontières aux populations indésirables et contrôler les sexualités qui mettent en danger la cellule familiale hétérosexuelle où se reproduisent les bras sensés produire les richesses indispensables à la bonne marche de l’économie libérale, ou porter les fusils des nouvelles croisades civilisatrices.

En avril dernier, j’ai entendu en Tunisie une mère déclarer que les poissons étaient devenus ses ennemis car ils ont mangé son fils naufragé au large des côtes européennes. Cela suffit à justifier notre combat : réconcilier les Méditerranéennes avec les poissons. Entre juillet et septembre 2014 : 2900 clandestins morts en mer.

Ces 27es Instants Vidéo seront un camp (ouvert) de réfugiés poétiques d’où s’organisera la contre-attaque des images, des sons, des corps et des désirs d’en découdre (sans patron) et battre à plate couture les raccommodeurs d’immondes mondes qui ne tournent pas rond, où les corps (en accord), les langues (alléchantes), seront nos armes pour alarmer sans larmes les femmes battues par des mâles en mal de puissance, les étrangers anéantis par des nantis qui érigent des murs et bouchent les horizons, les genres humains aux sexes brimés par des briseurs de rêves…L’art vidéo est l’art de passer d’un genre à l’autre, d’hybrider les styles sans brides, avec en ligne de mire l’amour et l’amitié (l’amourtier) à tout va. Les artistes que nous avons programmés n’ont répondu à aucune commande. Nous n’exigeons pas d’eux qu’ils soient des militants, les portes-paroles d’une cause ou les illustrateurs d’une thématique. Les Instants Vidéo ont vocation de capter des flux d’énergies créatrices, de les agencer dans un espace et pour un temps donné, et d’inviter des hôtes à venir expérimenter de nouvelles façons de penser et de vivre ensemble.

Nous aimons les œuvres où le désir fait des siennes avec la réalité, trace des lignes de hanches… de chance… de flottaison… Les œuvres qui mènent la vie dure aux idées préconçues, qui dérivent, dérèglent les sens, giflent le bon goût, caressent le plaisir d’être un autre toujours hôte… Ces Instants Vidéo seront plus que jamais trans-genres, trans-continentaux, trans-(in)disciplinaires (mais surtout pas transparents). Ici les œuvres, les artistes, les organisateurs s’exposent aux critiques bienvenues des visiteurs acteurs de leurs destinées affranchies des convenances conservatrices qui assèchent les lèvres.

À la Friche la Belle de Mai (fais ce qu’il te plaît), 14 installations vidéo d’artistes de Taïwan (in Schizophrénia 2.0) diront quelque chose de leur monde qui en dit long sur le nôtre, et 18 autres (in Les corps et les désirs du Maroc, Syrie, Palestine, Brésil, Pakistan, USA, Japon, Portugal, Hongrie, Finlande, Allemagne, France, seront autant d’appels à transcrire poétiquement tout ce qui transperce les murailles abjectes qui font tant frémir nos entrailles… Des performances où le corps valse avec les poésivisibilités et les poésonorités des technologies et de la voix… Des programmations cosmopolites comme autant de gammes (avec de mauvaises notes, des croches, des soupirs) de vidéo (pas vides, pas livides) pour donner corps aux sens et sens aux corps… Des débats pour mettre aux abois les langues de bois, des ébats d’idées et de sensibilités, pour passer à l’action et démettre les corps (d’Etat) rigides (et frigides) qui empêchent les libres expressions et les libres circulations des corps et des désirs…

Les Instants Vidéo errent tant que le vent (de la rage sans carnage) leur prête vie pour migrer comme des oiseaux du tonnerre. Le festival lèv(r)e le camp de la Friche pour faire escales dans la vitrine de l’Espace Culture, l’ADPEI, le Vidéodrome 2 pour les grands et les petits (Marseille), dans la [.BOX] Galerie de Milan et à peu près partout dans le monde sur les ondes numériques de Visual Container TV.

L’enjeu de l’ouverture des frontières des corps et des désirs n’est pas seulement humain et politique. Il est aussi poétique. L’ouverture totale des frontières favorisera un métissage des corps et une créolisation des langages. Ne serait-ce que pour cela. Ne serait-ce que par souci poétique. Exigeons de nous-mêmes et des institutions qui gèrent nos destinées malgré nous, le devoir d’hospitalité radicale. Nous ne parlons pas de « droit », mais bien de « devoir ». Comme il existe un interdit (universel) de l’inceste, il doit exister un devoir (universel) d’hospitalité. Cela n’est pas négociable. C’est une exigence morale.

Nous vous souhaitons de malicieuses traversées à tire-d’aile…
Marc Mercier

affiche 2014
Catalogue

webdoc2013
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