D’où vient l’art vidéo ?
Où en est l’art vidéo ?
Où va l’art vidéo ?
L’art vidéo fut inventé par les enfants de la seconde guerre mondiale. C’est aujourd’hui un art contemporain… des révolutions méditerranéennes et de la tragédie grecque. L’année 1963 a été choisie comme point de départ d’une aventure qui est loin d’être terminée, en référence au geste réputé fondateur de l’art vidéo, commis par le coréen Nam June Paik qui expose treize téléviseurs préparés (Galerie Parnass de Wuppertal en Allemagne), dans le cadre de la manifestation Fluxus (Music/Electronic Television). La même année, l’allemand Wolf Vostell projette son mémorable Sun in your head et le français Jean-Christophe Averty crée un scandale télévisuel en passant un bébé à la moulinette (Les Raisins Verts, octobre 1963).
Ces trois artistes à eux seuls affirment le caractère international de cet art, ses formes hybrides (vidéo, télévision, ordinateur, cinéma,art plastique, musique…), son attitude irrévérencieuse vis-à-vis des conventions artistiques en vigueur. Si la première génération d’artistes est essentiellement issue des pays riches et industrialisés, aujourd’hui la création vidéo se développe sur de nouveaux territoires : Afrique du Nord, Moyen-Orient, Asie, Amériques centrale et du sud… En désignant comme pionniers deux artistes (Paik et Vostell) liés à Fluxus et un artiste pataphysicien (Averty), nous af rmons l’insolence, la volonté d’alimenter des ux entre la vie et les gestes artistiques, la soif d’inventer de nouvelles formes et de nouveaux rapports entre l’œuvre et le spectateur, bien plus qu’un culte rendu aux nouvelles technologies.
La mémoire de l’art vidéo doit s’inscrire dans un futur ouvert : les chemins qui viennent ne sont pas tracés. Ils ne se découvrent que sous les pas de ceux qui s’y aventurent. Ce sont ces possibles que nous devons inventer. De même qu’Alice (Lewis Carrol) découvre que pour atteindre la Reine Rouge elle doit cheminer vers l’arrière, nous nous tournerons vers le passé pour ouvrir de nouvelles voies. Il ne s’agit pas de mettre la poésie électronique au service des outils numériques et des historiens de l’art, mais bien de mettre les outils et le savoir au service des artistes et des publics. C’est ainsi que l’art vidéo ne trahira pas son propre projet… Ré-existence ! Il ne surprendra personne que ces nouveaux foyers de ré-existence poétronique ont trouvé place dans des pays où les peuples font des révolutions. Les écrans vidéo sont les places Tahrir (Le Caire) ou Taksim (Istanbul) du langage artistique. Tahrir signi e « libération » et Taksim « distribution ». Tout le processus poélitique de l’art vidéo est contenu dans ces deux mots : poser un acte de libération des langages en distribuant d’une manière insolite les images et les sons qui furent auparavant dé- membrés, désorganisés, décomposés. Toute révolution est la destruction d’un ordre établi, une remise en cause des formes de hiérarchie exis- tantes, qui niront par accoucher d’un agencement inédit conçu à partir de nouveaux points de vue. L’art vidéo est un désordre organisé !
Nous l’avons dit : « l’art vidéo est un art contemporain… ». Les trois points de suspension ont leur importance. Isolée, l’appellation contrôlée « art contemporain » est un non-sens. Un art ne peut être contemporain que de quelque chose, même si une de ses qualités les plus chères est d’être inactuel, c’est-à-dire en désaccord avec son temps.
« … des révolutions arabes et turques ! Mais aussi de la tragédie grecque » qui se (re)joue (comme une farce) en ce moment sous nos yeux médusés. Berceau occidental de la démocratie tant vantée, les banquiers d’Europe lui ont ôté sa souveraineté. Pour la première fois depuis le coup d’État des Colonels, le gouvernement met à la casse, le 11 juin 2013, l’audiovisuel public. Le dieu des nances Ploutos fait de la Grèce le laboratoire d’une politique économique et sociale qui se généralisera bientôt partout. Pendant ce temps, Platon (une sorte de ministre de l’intérieur) continue à exclure de sa République mondialisée et libérale tous les poètes. Aux (l)armes poètoyens !
Célébrer 50 ans d’arts vidéo, élire quelques jours durant Marseille Capitale Mondiale de la poésie électronique, c’est revendiquer l’esprit Fluxus de la dérision joyeuse. La centaine d’artistes présents sont autant de petits David face au mastodonte Goliath de l’acculturation qui se propage à la vitesse numérique. La trentaine d’installations vidéo exp(l)osées sont des barricades d’étoiles dans un ciel peuplé de drones et de dieux moralisateurs. Les quelques 150 lms programmés sont la projection de désirs émancipés. Les performances exécutées décrètent l’état d’urgence d’inventer un nouvel art mult’immédiat. Les débats annoncés sont des ébats d’idées, des mariages pour tous d’opinions contradictoires.
Un festival est une table de montage manipulée par une brassée de mains, qui devient par la force des choses (et autres) une table critique de nos certitudes. Le doute est en n permis ! Nous l’avons déjà semé avec force complicités tout au long de l’année (lumière) à Tokyo en février, Liège en Mars, Alexandrie en avril, Yokohama en juin, Ramallah en juillet, pour arriver maintenant à bon port (d’attaches et d’envols) à Marseille : cartes de séjour offertes !
Marc Mercier
Nous dédions ces 26es Instants Vidéo à Paolo Rosa, fondateur du Studio Azzuro (Milan), décédé cet été à Corfu (Grèce), et à Hernan Harispe, président des Rencontres du cinéma sud-américain, décédé cet automne à Marseille.