… Et nous sommes magnifiques !

Le 21 février dernier, quatre jeunes filles (les Pussy Riot) font irruption avec guitares et sono sur l’autel de la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou et entonnent un simulacre de prière où elles implorent la Vierge Marie de chasser Poutine. Elles sont condamnées en août à deux ans de colonie pénitentiaire pour « vandalisme en bande organisée animée par la haine religieuse.» Elles sont magnifiques. Lors du « Printemps des arts » à la Marsa (Tunisie), des groupuscules salafistes ont, le 10 juin dernier détruit et lacéré des œuvres d’art contemporaines sous le regard bienveillant des autorités. Mi-août, les artistes Nadia Jelassi et Mohamed Ben Slama sont convoqués par un juge pour « trouble à l’ordre public » et encourent une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Ils sont magnifiques. Nous leur dédions ces 25es Instants Vidéo. Ainsi qu’à tous ceux qui résistent contre les tyrannies marchandes, militaires ou religieuses.

Ni dette, ni maître
En Russie, en Grèce, en Syrie, en Égypte et presque partout ailleurs, le monde contemporain se caractérise par une crise de la représentation. D’où l’émergence ici et là de nombreuses initiatives populaires auto-organisées qui vont des mouvements des indignés jusqu’aux révolutions dites du « printemps arabe ». Cette crise de la représentation ne concerne pas seulement le discrédit accordé au personnel politique et aux institutions qu’ils sont censés servir, mais aussi les images. Les arts vidéo et numériques, quand ils ne se contentent pas de satisfaire la demande du marché, quand ils assument leur vocation expérimentale, poétique et critique, peuvent participer à l’éveil des consciences et des sensibilités enfouies sous un amas de frustrations. Que ce soit sur le plan social ou artistique, la frustration n’est pas conséquence d’un désir inassouvi. Le désir est toujours sans objet, c’est une énergie vitale. Elle est fille de la transcendance. Ce au nom de quoi (Dieu, État, Nation, Équilibre budgétaire, Croissance économique…), les Maîtres de ce monde nous demandent de nous soumettre. Quand ces fausses valeurs ne sont plus suffisamment actives pour préserver leur légitimité illusoire, ce sont aux armes que parole est donnée (comme actuellement en Syrie). Ou bien, plus subtilement, ils manigancent pour que nous nous sentions collectivement coupables de l’état de délabrement dans lequel nous vivons.

Quel est le nom de cette botte magique, garante de consensus social et de servitude volontaire, qui a mieux résisté à l’usure du temps que l’Acropole d’Athènes, le Colisée romain ou le site khmer d’Angkor ? La dette ! La langue germanique nous révèle le secret de sa puissance corrosive : le mot « schuld » signifie à la fois dette et faute. Les sacrifices que les banques exigent de nous sont un moindre mal vu l’ampleur de nos fautes : nous avons trop joui ! Se rejoue le même scénario en vigueur presque partout en Europe, de l’Antiquité au Moyen-âge : celui qui ne pouvait pas rembourser sa dette était réduit à l’état d’esclavage. Il devait indemniser son créancier par quelque chose qu’il possède, qu’il a encore en sa puissance, par exemple son corps, sa femme, sa liberté, voire sa vie… (Nietzsche). L’austérité est le nom donné à la politique qui prétend résorber la dette. Elle n’affecte pas seulement notre pouvoir d’achat, les services publics et les emplois, elle s’attaque aussi à nos corps et à nos sensibilités. Il y a péril en la demeure de nos imaginaires collectifs. Animés de passions tristes (ressentiment, racisme, peur…) les hommes désespérés font grise mine. Participer aux nouveaux processus d’émancipation initiés l’an dernier par nos amis des pays du sud méditerranéen implique que nous réinjections dans nos vies des passions joyeuses dont la démesure rendra l’homme plus grand que lui-même. Voilà pourquoi nous avons choisi comme titre à ces 25es Instants Vidéo … et nous sommes magnifiques ! Ce sont les dernières paroles de la vidéo The devil de Jean-Gabriel Périot, proférées avec un enthousiasme débordant par un militant Black Panthers. Un cri âpre et joyeux qui balaie d’un revers de la voix le slogan mortifère la révolution ou la mort qui a fait son temps. Comment rendre désirable la révolution ? Telle est la question.

INouïeAUGURA(c)TION
C’est dans ce même (dés)ordre d’idée que le lieu central du festival à Marseille (salle de la Cartonnerie, Friche la Belle de Mai) sera le 7 novembre à partir de 18h, provisoirement, transformé en Mairie d’Outrance. Après un hommage rendu à la jeune création vidéo grecque, le Maire (Jean-Pierre Eyraud) procèdera à une cérémonie de mariages où chacun(e), après avoir divorcé de Ploutos (Dieu grec du fric), épousera à sa guise Dionysos (Dieu de la passion), s’engageant à vivre et aimer à outrance. Et nous serons magnifiques !

Vertiges
Délesté(e)s du poids de la dette, nous serons aptes à tous les vertiges de la création poétronique. Les 6 et 7 novembre : avalanche de vernissages d’installations vidéo dans Marseille. Du 7 au 11 novembre, à la Friche : programmations vidéo internationales, performances, conférences, atelier de création numérique, rencontres libérées et ébats en tout genre… Parmi les aventures auxquelles nous vous convions, vous pourrez boxer pour vérifier si la poésie est un sport de combat, confier vos fantasmes urbains à un bureau RedPlexus (solaire), goûter la création vidéo croate, suisse, indienne ou moyen-orientale… vous exercer à des étreintes photographiques, vous plonger dans les temps préhistoriques des origines du cinéma et de l’art vidéo, célébrer toutes les décolonisations (l’art vidéo : mouvement de libération des images et des sons)…

Constellations
Si vous avez des ailes, participez à nos dérives spatiales, devenez météorites sillonnant la constellation poétronique des Instants Vidéo d’octobre à novembre, à Oran, Tlemcen, Le Caire, Beyrouth, Milan, Cordoba, Buenos Aires, Martigues, Vitrolles, Rennes et Alexandrie.

Luttopie
Plus que jamais : Entrées libres et gratuites. Ce n’est quand même pas l’année où les Instants Vidéo s’attaquent à l’idolâtrie du dieu grec du fric Ploutos, que nous allons commencer à faire payer l’accès à la création artistique de notre temps. Nous sommes un service pour le public. Voici un quart de siècle que nous revendiquons la gratuité absolue de la culture au même titre que l’éducation, la santé, l’eau, la nourriture, l’habitat… Les Instants Vidéo sont une invitation à luttopie : capacité à laisser son imagination errer où bon lui semble, malgré tout !

Magnifiquement vôtre.

Une pensée pour le magnifique Marcel Hanoun qui nous a quitté en septembre.

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